Par un samedi pluvieux de juin, je décidais de visiter l’exposition de Martin Margiela au Palais Galliera : « Margiela / Galliera, 1989-2009« . Personage sui generis, anti-conformiste, et véritablement innovant. Né à Louvain en 1957, il est l’un des créateurs les plus surprenants et talentueux de sa génération. Ce n’est certes pas par hasard qu’il fut repéré tôt par la maison Jean-Paul Gaultier pour lequel il travaillera après son diplôme
An experience that changes nothing is hardly worth having.
— Martin Margiela
L’exposition retrace 20 années de ses creations, depuis ses début à Anvers — où il fit ses études à l’académie royale des beaux arts — jusqu’à Paris, au sein de la maison Hermès, dont il sera le directeur créatif pendant 6 ans. Il fondera en 1988, avec Jenny Meirens, sa propre marque sous l’appellation Maison Martin Margiella. Cette Maison de couture fut revendue à Renzo Rosso, et a depuis été abandonnée par Margiela en 2009.
L’exposition du Palais Galliera s’avère aussi belle que riche. Une deuxième exposition (que je visiterai sans faute — promis!) est actuellement en cours au Musée des Arts Décoratifs, dédiée aux années Hermès de Martin Margiela.
Margiela, que dire de lui ? C’est une première fois que, dans une exposition, l’on n’a même pas une photo du couturier, ni de biographie affichée : rien de rien… on se demande même s’il a jamais existé! Il a en effet toujours fuit la presse, il répondait aux journalistes par fax, faisant de l’anonymat l’essence de son concept de marque.
Mais il n’en a pas besoin, lui qui exprime non pas simplement sa personnalité, mais sa propre personne physique dans ses créations. Et cela se perçoit comme jamais avant dans une exposition, car chaque vêtement est une partie de lui qui nous parle, qui nous raconte sa vie et son histoire unique dans la mode, et qui lui donne une place unique et hors du commun.
Un homme qui n’apparaît jamais, très mystérieux, et dont ne connaît même pas vraiment le visage… mais qui est capable d’offrir de multiples facettes : révolutionnaire, subversif — il a déconstruit des pièces déjà existantes, créé des pièces en recyclant des matières, utilisant de nouvelles matières jusqu’alors jamais utilisées, échangeant le rôle de pièces de vêtement, utilisant des volumes oversize, proposant des vêtements sans logo, inventant même un classement nouveau pour les répertorier : sur l’étiquette chaque pièce à un numéro, celui des vêtements pour les femmes le 6, celui des hommes le 10, les chaussures le 22…
Oser, oser, encore oser… mais avec une simplicité, une humilité, une « sobriété délirante » : Margiela est le chaos et le représentant d’un nouvel ordre.
Mais il est surtout quelqu’un qui vit dans le monde, expression de la communauté d’individus, dans lequel, même dans les zones d’ombre, l’on arrive à trouver la lumière. L’idée de faire des défilés dans des lieux improbables : un terrain vague, une station de métro, etc., de créer un instant de magie entre ce qui est, et ce qui pourrait être. Réinventant et déstructurant les styles, il donne un nouveau élan à des matières jamais utilisées avant, à des choses que l’on n’aurait jamais imaginé porter : pour lui tout est possible. Margiela a un don, celui de la création qui, dans son cas, s’allie avec celui d’être un vrai esprit libre.
C’est ainsi que l’on se retrouve face à face avec un vrai créateur. Le qualifier de couturier serait trop réducteur parce qu’il est un créateur au sens absolu du terme. Créateur qui fait, défait et refait avec un courage et une passion dévorante.
C’est sans doute vrai, on ne connait véritablement rien de lui — mais je sors de l’exposition avec une émotion palpable, celle d’avoir touché pour un instant l’immense.